C’est un projet que j’ai réalisé dans le cadre du Master of Science « Stratégie et Design pour l’Anthropocène« . J’ai réalisé un mémoire au sujet des convergences qu’il peut y avoir entre design numérique et écologie politique. Je me suis mis dans la peau d’un chercheur en sciences sociales pour livrer, à la fin, un mémoire et une présentation orale.
Ce projet m’a apporté une consolidation de mes compétences de recherche de Designer :
- Mener à bien une recherche documentaire pour un état de l’art
- Mener à bien une enquête auprès de designers et d’activistes
- Faire des personas
- Designer une cartographie « relationnelle »
- Analyser les résultats
- Contribuer à la compréhension du mémoire à l’aide d’une fiction
- Présenter oralement le projet
- Diffuser les points clés du mémoire sur internet

Recherche documentaire
J’ai lu des livres et des publications scientifiques afin de mieux connaître les enjeux de l’activisme numérique. Voici les enseignements que j’en ai tiré :
- Le web actuel est différent de l’utopie que constituait le web à sa naissance, basée sur la coopération, la liberté et l’individualisme.
- Les comportements sont régulés non pas par le juridique mais par les moyens techniques mis en place par les plateformes. C’est l’expression : le code fait Loi.
- Les entreprises géantes du web sont techno-solutionnistes, c’est-à-dire qu’elles considèrent que la solution viendra uniquement de la technique.
- Les services numériques permettent quand même une forme nouvelle d’action collective, opportuniste, sans centre, volatile et puissante à l’instar de #FridaysForFuture, #MeToo et la révolution de jasmin.
- Les réseaux sociaux ne remplacent pas encore les structures décisionnelles. Ils ne permettent pas encore de régler les désaccords et de négocier. C’est la “paralysie tactique”.
- La technologie n’est ni bonne ni mauvaise, elle n’est pas neutre non plus, c’est son usage en fonction de la situation qui est bon, mauvais ou neutre.
- Les autorités répliquent face aux mouvements en leur opposant la supposée légitimité de la violence policière
- Sur internet, c’est l’attention des membres du mouvement qui est vitale, plus que l’information. Un nouveau mode de censure est utilisé : la surabondance d’informations et le harcèlement ciblé. Cela passe par la délégitimation des médias, des canulars, des campagnes de harcèlement et la diffusion de fake news.
- Les usages de l’activisme en ligne sont le clicktivism, le partage d’information, la création de contenu, de consommation politique, la pétition en ligne, le botivism, le financement en ligne, l’activisme des données, la divulgation d’information et le hacktivism
Enquête auprès de designers et d’activistes
J’ai interviewé des personnes à l’intersection de l’activisme et de l’écologie politique. Voici les informations que j’en ai tiré :
- Le design sert majoritairement les métiers qui poussent à la consommation alors même que celle-ci est mauvaise pour la planète. Aujourd’hui, le numérique c’est une surabondance d’achats, une surabondance de matériaux (l’extraction des minerais)
- Le changement de leur métier de designer s’accompagne d’une réflexion sur le processus de conception des outils. Prendre du recul sur le métier de designer, c’est s’interroger sur sa pratique.
- La solution à un problème peut être autre chose que du numérique.
- Il peut y avoir de la créativité dans les concessions faites pour l’écologie
- Le changement de leur métier de designer s’accompagne pour tous les designers interviewés d’une réflexion sur comment iels font des affaires.
- Pour concilier l’écologie et le design, l’éco-conception n’est pas le plus important. C’est avec qui on travaille et qui on ne travaille pas qui est important
- Les designers interrogés sont critiques sur le monde du numérique en général et surtout du solutionnisme technologique
- C’est une bonne pratique de regarder ce qui se passe chez les gens qui défendent des causes et qui sont minorisés
- On ne choisit pas l’environnement socio-technique dans lequel on est, dans lequel on apparaît. Donc on fait avec et on hérite de ça.
- Les activistes choisissent leurs outils avec plusieurs critères dont leur propre compétence et le besoin au niveau de l’organisation (confidentialité par exemple).
Personas
J’ai créé 6 personas :
- Amélie, designeuse engagée en coopérative et éthique
- Léo, designer freelance, engagé et décroissant
- Clémentine, designeuse engagée et activiste
- Hélène, activiste professionnel•le
- Martin, activiste désobéissant
- Farid, activiste et créateur de contenu






Design relationnel
Dans cette cartographie, j’ai mis en avant les liens relationnel de l’activiste lorsqu’iel veut travailler avec des designers numériques.

Analyse générale
Ma réponse à la question ”Que peuvent faire les designers numériques pour les activistes écologistes ? » est la suivante : pour se mettre au service des activistes, le métier de designer doit évoluer et cela implique dans le cadre professionnel :
- Revoir son modèle d’affaire et sa manière de faire du commerce
- Faire de l’éco-conception
- Être actif sur les questions d’éthique
Les designers peuvent apporter aux activistes :
- Faire de la communication pour les collectifs
- Faciliter la prise en main des outils
- Organiser la construction de choses avec des gens qui partagent ses valeurs
Fiction illustrative
J’ai imaginé un courte histoire, mettant en scène des designers et des activistes, cherchant à travailler ensemble.
Hélène marche et cherche son nouveau collectif, les SousTerreRennes, dans la foule de la manifestation. Elle voit Marie, une camarade, et lui fait de grands signes. Marie la voit à son tour, lui sourit et vient à sa rencontre.
“J’ai rencontré des gens étranges lors de la manifestation, je me suis dit que je t’en parlerai.”, dit Hélène.
“- Étrange, comment ça ? Qui étaient ces gens ?
– Iels étaient vêtus tout de noir.
– C’était des black blocs ? Des anarchistes ?
– Non, iels étaient tout en noir mais plutôt avec un col roulé à la Steve Jobs.
– Des chefs d’entreprise ?
– Yelles m’ont dit qu’iels sont designers dans le numérique.
– Que voulaient-iels ?
– Iels manifestaient comme nous. On a parlé un peu. Iels proposent leurs services à des collectifs de gauche. J’ai pris le mail de leur agence, “FLUX”.
– On est de gauche mais… Pourquoi aurait-on besoin de designers ?
– J’ai pensé au fait que l’on aurait peut-être besoin d’un site web pour présenter notre action aux yeux du grand public.
– D’accord, on en parlera demain.
– C’était une bonne manifestation pour toi ?
– Oui ! J’ai dansé tout le temps !
– Super”
Le lendemain, dans un local associatif rennais.
Hélène, Marie, Farid sont autour d’une table, chacun devant un ordinateur ou un calepin.
Hélène, l’initiatrice du collectif, gribouille sur un bloc-note en attendant Martin, le plus expérimenté du groupe.
Marie est une amie de la fac. Elle est un “citoyenne exemplaire” comme elle aime le répéter. Elle vote à chaque élection et privilégie le dialogue quand il est là. Malheureusement, aucun organisme n’a voulu dialoguer avec SousTerreRennes pour entendre leur cause. Elle est déçue et envisage maintenant les actions non-violentes catégoriques.
Farid est plus jeune. Marie l’a rencontré à un événement sur le climat. Il rêvait d’être YouTuber lorsqu’il était enfant. Maintenant il fait des études de communications et maîtrise les réseaux sociaux. Il veut utiliser cette corde à son arc pour créer du contenu pour l’association.
Martin arrive :
“Désolé pour le retard”, dit-il.
“Pas de souci, on peut commencer la réunion, dit Hélène.
– Tout d’abord, je veux dire que c’était le feu hier. En plus de passer un bon moment, j’ai pu faire quelques photos de nos pancartes et de nous toustes, dit Farid, le créateur de contenu de la bande.
– Tu as pu les partager sur notre page Instagram ?
– J’ai pu le faire. Mais je n’ai pas eu beaucoup de partages. C’est le début, ça viendra. Par contre, il faudrait trouver un logo pour le collectif, comme ça on sera identifiable.
– Parlant de logo, j’ai sympathisé avec des designers lors de la marche. Peut-être qu’iels pourront faire un logo ? J’ai pensé aussi à un site web, qu’en pensez-vous ?
– On n’a pas la trésorerie nécessaire pour les payer.
– Léo, le designer à qui j’ai parlé, m’a assuré qu’iels sont dans une logique décroissante. Je lui ai demandé ce que cela voulait dire pour elleux concrètement. Il m’a dit qu’iels se rémunèrent grâce à des clients avec lesquels iels sont alignés pour pouvoir faire du travail bénévole à côté.
– Il faudrait voir si elleux sont alignés avec nos valeurs. Sur le principe, je suis d’accord. Qui accepte autour de cette table de voir ce que ces designers ont à proposer lors d’une séance suivante ?”
Les quatre activistes secouent leurs deux mains en l’air pour montrer leur approbation.
“Organisons une réunion avec ces designers. Comment t’as dit qu’iels s’appellent ?
– L’agence s’appelle FLUX. Les designers s’appellent Léo, Amélie et Clémentine, il me semble.
– Je m’occupe de les contacter.”
Hélène prend note dans un document en ligne de ce qui vient de se dire. Marie enchaîne :
– La dernière fois qu’on s’était parlés, on avait évoqué de faire une action pour faire porter l’attention médiatique sur l’artificialisation des sols et sa conséquence sur la biodiversité souterraine. Martin, tu as déjà fait des actions de désobéissance civile, est-ce que tu peux nous éclairer sur comment tu as fait ?
– Ce genre d’action demande de la préparation. Lorsqu’on avait bloqué la voie d’autoroute, on avait beaucoup discuté et anticipé les différentes conséquences qui auraient peut-être lieu. – Avant de faire le blocage, j’avais fait une formation à l’action non-violente par Alternatiba.
– On peut voir sur internet s’ ils proposent encore de se former. Tu peux vérifier pour moi, Marie ? Comme tu sais, je n’ai qu’un dumb phone qui ne va pas sur le web.– Ah oui, j’oublie à chaque fois. Attends deux secondes, je vérifie.” Marie pianote sur son téléphone.
“Il reste trois places, ça tombe bien ! Je nous inscris ?”
Farid et Hélène acquiesce avec leurs mains et un sourire.“C’est bon. Je propose qu’on termine la réunion. Quelqu’un à quelque chose à ajouter ? Non ? On se voit pour le cours de désobéissance puis on fait cette réunion avec les designers. À plus et merci.”, dit Marie.
Deux semaines plus tard, le collectif et les designers se rejoignent dans le local associatif
“Bonjour tout le monde. Je suis Hélène. Je travaille à l’association des SousTerreRennes où je m’occupe de plaidoyer. On va faire un petit tour de table, si ça vous va ? Vous pouvez nous donner aussi des informations sur ce qui vous motive dans ce partenariat.
– Je commence. Je m’appelle Amélie, je suis designeuse numérique dans la coopérative FLUX et je m’intéresse à l’éthique de mon métier ainsi qu’à l’éco-conception. J’aime mon métier et j’aime surtout quand je le fais pour des organisations non-capitalistes, d’où ma volonté d’être ici. Je passe la parole à Léo.
– Bonjour, moi c’est Léo. J’étais à la manifestation pour le climat il y a quinze jours. Je m’intéresse à tout ce qui est lié à la décroissance, au grand dam de mon banquier. J’ai une réflexion autour du temps que je prends pour les autres et ce temps j’ai envie de le passer avec un collectif qui a du sens pour moi.
– Bonjour à toustes, je suis Clémentine. Je suis designeuse ainsi que militante féministe et anti-spéciste. J’adore quand mon travail sert une cause à laquelle je crois et je crois que il y en a assez du béton sur nos sols !
Marie, Farid et Martin se présentent tour à tour. Puis la question centrale est posée par Farid : “Qu’est-ce que vous, designers, pouvez nous apporter ?”
Amélie prend la parole :
“En fait, chaque collectif est différent et nous n’avons pas une solution clef-en-main pour tout le monde. On peut vous faire des propositions et vous nous dites lesquelles vous semblent les plus pertinentes. Nous pouvons vous aider avec tout ce qui a trait de près ou de loin au numérique. Nous avons fait un tour sur vos présences en ligne, elle est très faible. Vous avez seulement un compte Instagram mais pas de logo. Nous pouvons vous aider avec la stratégie de communication. On vous ferait des modèles visuels réutilisables pour vos publications sur les réseaux sociaux par exemple.
– Ça me semble bien.– On est un peu perdu concernant les outils que l’on doit utiliser, entre nous, déjà. Est-ce que vous pouvez nous aider sur ça ?
– J’ai vu que vous utilisez Telegram pour communiquer, c’est très bien. Surtout si vous voulez vous organiser pour une action non violente, dit Clémentine. Je l’utilise moi-même dans mes groupes. On peut vous former sur les moyens d’activisme en ligne. Un des moyens est de créer du contenu militant.– Vous avez du matériel pour créer des publications vidéos ?
– On évite la vidéo au maximum pour des raisons d’éco-conception mais on peut vous proposer de faire un podcast. Mais ça, ce sera à terme.
– Il faudra bien filmer notre action si on veut qu’elle soit relayée par les médias. Je crains que si on ne met que l’audio, cela ne fasse pas grand effet, dit Farid.
– On s’est mal compris. Bien entendu vous pouvez faire des films sur vos portables pour vos actions et les partager. On ne vous suggère simplement pas de faire des publications vidéos comme les influenceurs, dans les locaux.
– Ok, si on résume : vous nous faites un logo pour notre page et on s’occupe de l’alimenter.
– C’est ce qui me semble le plus pertinent pour vous, à ce stade. Après on pourra vous faire un site web, une cagnotte, etc. Mais là, vous n’avez pas besoin de beaucoup.
– Ça me convient, dit Hélène.”
Les autres opinent du chef d’approbation.
Trois jours plus tard, en direct sur internet.
Farid filme ses camarades qui se sont attachés aux bulldozers.
“Nous sommes sur le chantier de la nouvelle zone commerciale de Rennes. Nous bloquons l’accès aux machines en nous menottant dessus. Notre message est simple : nous refusons que soit construit ce centre commercial. Nous avons épuisé toutes les voies de dialogue. Renoncez-y !”